Pour nous, les paysages de notre enfance ne sont pas de simples décors, mais une part essentielle de nous-mêmes. Ce sont les couchers de soleil embrasant l’horizon, les froides nuits étoilées, les odeurs profondes de la terre et des bêtes. Ces sensations, gravées en nous, sont la source d'une question lancinante : que nous en reste-t-il ? 

L’expérience urbaine, passage obligé de la vie étudiante, a agi comme un révélateur. Dans le béton et le bruit, notre regard s’est obstinément accroché aux rares îlots de vie : une herbe folle défiant le trottoir, un arbre solitaire dressé comme de vieux soldat usé par une guerre perdu, la faune discrète des interstices. Étiquetés « ruraux », l’altérité citadine a éclairé notre évidence : notre culture, notre identité profonde, respire au rythme de ces paysages originels. C’est là, dans cette confrontation, que nous avons compris que notre lien à la nature est une langue silencieuse, un héritage qui nous façonne. Ces heures vagabondes dans les chemins creux, au cœur des forêts enfantines, ces instants passés auprès des bêtes, ont littéralement accouché d’une partie de nos êtres.

De cette prise de conscience est née la compagnie Les Æncres. Non pas comme une nostalgie passéiste, loin de là, mais comme une réponse vibrante à cet appel du vivant qui résonne en nous. Ancrée au cœur du Limousin, terre de nos racines et d’inspiration, Les Æncres se veut un théâtre populaire et incarné, qui rassemble et émeut. Nous concevons l’art comme un fruit du terroir, intimement lié à son environnement. Pour nous, la culture ne peut se penser hors du vivant, hors du cosmos qui l’a vu naître. La source première de notre art est cette connexion primordiale avec la nature, celle qui guidait les gestes des premiers hommes peignant les grottes d’animaux et de ciels étoilés. Retrouver cette respiration commune avec notre environnement, réhabiliter ce lien essentiel, est pour nous une nécessité, afin de ne pas sacrifier la beauté du monde sur l’autel d’une modernité déconnectée ou trop connectée… 

Consciente de la crise existentielle contemporaine, du vide creusé par la dématérialisation des rapports humains, Les Æncres se veut être un espace de partage et de convivialité. Nous voulons faire du théâtre un lieu de rencontre, un rituel de retrouvailles où le public peut se rassembler et s’émouvoir. Loin des superficiels, nous voulons que nos spectacles, ancrés dans le local, proposent une invitation à repenser notre place dans le monde et notre rapport au vivant.

Pourquoi donc cette nécessité du théâtre ? Pour cette part irréductible de beauté et de poésie qui persiste malgré tout. Pour le réel contre l’artificiel, pour le vivant contre le calcul, pour une autre chose, un autrement. À travers les mauvais temps que nous traversons, l’art comme geste de révolte, une affirmation obstinée de la vie. Et pour continuer à explorer ce lien au vivant et au réel, le célébrer encore et encore, le travail des Æncres prendra toujours source dans les liens profonds et mystérieux entre l’homme et l’animal. Les bêtes ont été la clef, dans nos parcours respectifs, pour découvrir ce monde passé sous silence que l’on nomme depuis le début de ce texte : le vivant.

En définitive, Les Æncres est une compagnie qui aspire à inventer un théâtre humain, un peu moins humain : rituel du partage, de l’émotion, de ce lien vital qui nous unit au vivant, au monde qui nous entoure, et à ce cosmos qui nous a fait naître.